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Blog/2012

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Bienheureuse flemme, pourquoi n’a-t-on pas des rentes, et beaucoup de temps devant soi avec l’illusion d’un travail raisonnable au bout ‎(Vuillard à Vallotton, 8 août 1894)

‎ »Mon cher ami

Je vous écris rue des Sts Pères, craignant que vous ne soyez plus au bord de la mer, je suis un peu honteux de ne pas vous avoir encore écrit un mot depuis votre départ, je me le reproche tous les jours ; j’espère que vous me savez assez flemmard pour ne pas croire à de l’indifférence ; et puis le changement d’air doit vous faire voir les choses d’un œil indulgent. Je ne puis pourtant pas me dire absorbé par de nombreuses occupations. Bonnard m’a quitté, il y a une dizaine de jours et je me trouve tout seul avec ma famille à Paris. Les projets vagues que je faisais d’aller un peu au dehors sont irréalisables, Huc ne m’ayant envoyé que la moitié de la somme sur laquelle je comptais ; et même cette raison ne serait-elle pas, je commence à me retrouver bien à Paris comme les années précédentes et je ne sais pas si je gagnerais au change pour le moment du moins. Je me suis remis un peu au travail depuis deux ou trois jours, mais ne sais comment m’y prendre pour sortir ce que j’ai en tête, assez désordonné du reste, je suis navré de voir que dès que je me remets au travail je reprends les manies précédentes et ne fais aucun ou très peu d’effort pour sortir ce que j’entrevois quand je ne fais rien.

Bienheureuse flemme, pourquoi n’a-t-on pas des rentes, et beaucoup de temps devant soi avec l’illusion d’un travail raisonnable au bout. Somme toute, je vais bien, à part de petit déboire du moment, j’ai eu un bon moment de tranquillité et j’ai encore un peu de temps devant moi, mais j’ai peur de l’hiver, j’ai peur de penser à ce qui pourrait me déranger de mes petites manies, j’ai peur de tout le monde.
Par exemple quand il fait par trop laid, je redeviens assez facilement grognon, ce qui arrive souvent, mais cela ne va pas trop loin. (…) »

(Lettre de Vuillard, in « Félix Vallotton, documents pour une biographie et pour l’histoire d’une œuvre, T. 1 – 1884-1889 », La Bibliothèque des arts, Lausanne-Paris, 1973).

comme un cadavre devant la nature

« 25 août 1888 (…) comme un cadavre devant la nature, c’est la seule méthode pour avoir la paix intérieure (au point de vue de la peinture.) quel contentement de bien mettre une ombre à sa place et une fois le tableau fini, on ne le regarde plus parce qu’on a fini de jouir – L’ennui devient fastidieux on s’y complaît, on le travaille puis vient qu’on s’y entraîne et alors c’est le galop infernal,
les déceptions et les déboires sont banales je n’y vois aucune rareté, mais dans la jouissance c’est l’insondable.
L’Hiver sera bientôt là j’espère que nous nous verrons souvent, à table, au café dans des endroits chauds et nous taillerons encore de ces bavettes interminables, – je veux changer de logement ou irai-je J’aimerai Montmartre si je ne faisais pas de portraits mais le consommateur est gros d’ordinaire et la rue Lepic avec un atelier au bout le laisserait froid, je voudrais m’en tenir à une chambre bien au nord, cuisine et chambre à coucher, j’ai des goûts simples, je suis né en 56, mais je suis dépensier je ne puis m’astreindre au strict nécessaire que de choses autour de moi inutile – vendre tout si ce n’est le lit 2 ou 3 chaises une table et la batterie de cuisine, supprimer la manie d’acheter le journal, le café, les femmes, cela demanderait un entraînement après quoi j’en suis sur j’aurai des grandes jouissances, prendre ma canne aller me promener, cirer mes souliers allumer mon poële, changer souvent de souliers c’est intime, avoir ma clef dans ma poche et la sentir de temps en temps luisante sous ma main ce serait innocent et viellot, même trottinant. Je ne fais pas de fusain le temps est chaud et orageux, l’électricité frôle partout, la rue ne me dit rien dehors je flâne, je boutique, mais gare l’hiver son froid me réveillera, je voudrais être plus impressioniste je ne suis pas content jusqu’ici tout cela ne rend pas mon impression cela a rendu plus la nature, en regardant n’importe quoi une seconde, – il nous en reste une image c’est cela que je voudrais reproduire ce serait très curieux, ce serait en dehors de ce qu’on appelle d e s s i n je suis primesautier et je n’ai jamais exercé et appliqué cette qualité, mais il me faudrait avant dessiner d’après la vie un mois au moins – je suis paresseux. à vous Maurin charles . »

Beaucoup de plaisir à la découverte des lettres de Charles Maurin dans la correspondance de Vallotton (in « Félix Vallotton, documents pour une biographie et pour l’histoire d’une œuvre, T. 1 – 1884-1889 », La Bibliothèque des arts, Lausanne-Paris, 1973 – orthographe/ponctuation d’origine).